Interview de Frédéric Girard, Président de France Biotech
Interview de Frédéric Girard, Président de France Biotech

Interview de Frédéric Girard, Président de France Biotech

28 avril 2025

Frédéric Girard, Président de France Biotech, a accordé à Quest for health une interview exclusive. Il y partage son analyse de la conjoncture actuelle du capital-risque en santé, les enjeux spécifiques du financement early stage, ainsi que sa vision des leviers à activer pour soutenir durablement l’écosystème healthtech français.

Comment le capital-risque a-t-il évolué ces dernières années, en particulier de l’amorçage à la série A ?

À l’échelle mondiale, les années 2020/2022 ont été particulièrement dynamiques dans le secteur healthtech, puis il y a eu un ralentissement en 2023. En 2024, on observe un redressement notable du capital-risque, en particulier aux États-Unis et en Europe.
Pourtant, la France a connu en 2024 une dynamique sensiblement différente. Contrairement à la reprise observée ailleurs, l’activité de financement en capital-risque a marqué un recul supplémentaire, touchant l’ensemble des stades d’investissement.
On constate néanmoins une certaine résilience du segment seed, notamment grâce à l’implication constante des partenaires historiques. Cela dit, les tensions se manifestent de plus en plus tôt dans le cycle de vie des entreprises, et les premières difficultés de financement surviennent désormais à des phases très précoces.

À quoi peut-on attribuer ce ralentissement en France ?

Il est difficile d’isoler une cause unique. Ce que l’on observe, c’est que les fonds eux-mêmes rencontrent des difficultés à lever des capitaux, dans un contexte économique incertain et un climat politique instable au second semestre 2024. Ces éléments combinés ont, selon nous, créé un environnement peu propice au financement des entreprises innovantes.
Les critères d’investissement des fonds ont-ils évolué ces dernières années entre l’amorçage et la série A ?
Même si nous ne disposons pas toujours d’une granularité fine, certaines tendances sont claires. Le financement reste présent, et de belles levées de fonds ont eu lieu. Mais les investisseurs prennent davantage de temps, et leur niveau d’exigence a nettement augmenté : qualité technologique, solidité de l’équipe, robustesse du business plan… Tout est passé au crible. Des levées qui prenaient quelques semaines nécessitent désormais plusieurs mois, voire une année. Cela pose problème pour des entreprises aux horizons de trésorerie limités.

Quel est l’état de santé financière des start-up healthtech en 2024 ?

Le financement reste la première préoccupation des entrepreneurs. En 2024, la plupart des entreprises disposent d’un horizon de trésorerie de 6 à 12 mois ; un quart d’entre elles sont même sous la barre des 3 mois. Près de 70 % sont en levée de fonds, ce qui mobilise considérablement leurs ressources internes et ralentit l’avancement des programmes de R&D.
Les start-up sont légitimement inquiètes quant à leur capacité à se refinancer. Cela dit, de belles histoires continuent d’émerger et doivent continuer à inspirer et rassurer l’écosystème.
Dans ce contexte, les dispositifs publics de soutien sont cruciaux, à commencer par le Crédit d’Impôt Recherche (CIR), qui représente entre 10 et 20 % des dépenses opérationnelles. Quand on a 6 à 12 mois de trésorerie, cela représente un à deux mois de survie. La stabilité du dispositif est aussi essentielle : des prévisions budgétaires ne peuvent pas supporter une incertitude de 20 %.
C’est pourquoi nous avons été très mobilisés sur la réforme du CIR dans le cadre de la dernière loi de finances. Si certaines avancées ont été obtenues, deux reculs nous préoccupent : l’exclusion des dépenses liées aux brevets — qui touche particulièrement nos biotech — et la suppression du bonus pour les jeunes docteurs.

Quels sont les premiers retours du terrain et les premiers impacts observés suite à ces mesures ?

Du côté des entrepreneurs, il y a beaucoup de déception. On fait porter l’ajustement budgétaire sur les entreprises françaises les plus innovantes. Or, ce sont elles qui déposent des brevets, construisent des unités de production sur le territoire, et créent de l’emploi.
La suppression du bonus « Jeunes docteurs » est également regrettable, car elle fragilise la collaboration public-privé. Ces talents, souvent à l’origine même de l’innovation transférée, risquent désormais de partir à l’étranger. La brutalité de la mesure — applicable dès le lendemain de sa promulgation — a de plus empêché les entreprises d’adapter leur plan de trésorerie.
L’impact global reste encore difficile à quantifier, mais il est probable que ces charges supplémentaires, dans un contexte déjà tendu, mettent en difficulté certaines structures. Le ralentissement des programmes de recherche est déjà palpable : en 2024, les CRO ont signalé une baisse d’activité, ce qui laisse présager un effet d’entraînement à moyen terme. Dans un environnement concurrentiel international, ce n’est jamais très bon. Si nous ne développons pas nous-mêmes les technologies, d’autres le feront à notre place. Et in fine, nous devrons les acquérir à un coût élevé, sans avoir bénéficié en amont de la création de valeur ni de ses retombées sur le territoire national.

Quelles évolutions anticipez-vous pour le secteur de la healthtech en 2025 et 2026 ?

Nous avons la chance de disposer d’un écosystème healthtech extrêmement dynamique, adossé à des universités de haut niveau et à des chercheurs de grande qualité. Le nombre de start-up healthtech en France a progressé en 2024, de même que l’emploi dans le secteur. Il y a donc une véritable dynamique à soutenir.

Pour les années à venir, deux axes me paraissent prioritaires :
1. Une meilleure mobilisation des financements :
Nous devons mieux exploiter l’épargne privée, en donnant la possibilité aux Français de soutenir directement l’innovation en santé. C’est un secteur porteur, et il suscite l’adhésion. Il faut également renforcer les passerelles entre grands groupes et start-up, et tirer pleinement parti des financements européens, encore sous-utilisés.
2. Un travail sur les coûts et la simplification administrative :
Les entreprises passent une part considérable de leur temps à naviguer dans la complexité réglementaire. Il est urgent d’alléger cette charge, afin qu’elles puissent concentrer leurs ressources sur la démonstration du bénéfice et de la sécurité des technologies qu’elles développent.

Nous attendons des avancées concrètes sur le règlement européen relatif aux dispositifs médicaux, un « pharma package » équilibré, et une politique européenne qui facilite l’accès au marché, sans compromis sur la qualité. Chaque lourdeur inutile freine l’innovation, brûle du cash, et ralentit la création de valeur — à rebours des ambitions que nous portons collectivement pour la santé de demain.

Crédit photo : France Biotech

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